Interview: Le Musée national a de superbes Rois du soleil

Interview: Le Musée national a de superbes Rois du soleil

Interview: Le Musée national a de superbes Rois du soleil
C’est en 2002, à seulement 26 ans, que Michal Lukeš a pris possession du poste hautement surveillé de directeur général de l’iconique Musée national. Durant cette période, il a réussi de grandes choses. Grâce à une bonne organisation, il a surmonté avec des dégâts minimaux des inondations destructrices, a reconstruit le grand bâtiment historique et a ouvert à la fin des vacances une exposition peu traditionnelle sur l’ Égypte ancienne.
Comment le Musée national maîtrise-t-il la période du covid ?
Cette période n’est pas encore finie, l’épidémie n’a pas disparu dans le monde et influence toujours notre activité. Et si elle venait à disparaître, la question est de savoir si le monde reviendra à la normalité, là où il se trouvait à la fin de l’année dernière, en 2019. J’ai à l’esprit avant tout les principes du fonctionnement économique et du tourisme.
Concernant la période de notre vie avec le covid, je pense que nous la maîtrisons bien dans l’ensemble. Le Musée national tchèque a été tout d’abord fermé pendant deux mois, comme tous les musées. Cela a été sa première fermeture aussi longue depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi la preuve que cette période est exceptionnelle et particulière.
 
Avez-vous réussi à utiliser de manière fructueuse cette parenthèse ?
On dit qu’à toute chose malheur est bon et nous avons essayé de l’utiliser pour plusieurs choses. Dès l’année dernière, nous avions établi une stratégie de reconstruction numérique après les grandes reconstructions des bâtiments. Cette reconstruction a de nombreuses étapes et concerne le fonctionnement interne et administratif, la communication, la numérisation des collections, la présentation aux visiteurs. La période du covid a beaucoup accéléré le tout. Nous sommes entretemps devenus membre de CESNET, un regroupement d’institutions académiques et universitaires dans le domaine des IT, des stockages cloud, etc. Dans les IT, nous avons fait un énorme travail et avons de la sorte commencé une étape de modernisation. Nous développons par exemple une robuste application flambant neuve pour les visiteurs, qui doit aussi être une ressource marketing, tout en utilisant l’ensemble des technologies numériques, telles que la réalité virtuelle ou la réalité élargie. A côté des objets de nos collections, elles proposeront à nos visiteurs une expérience plus grande lors de la visite du musée. Le covid nous a été une aide dans ce sens.



Il apparaît que les technologies modernes sont indispensables pour un musée de nos jours…
Certainement, avant vous exposiez un insecte et les gens ne voyaient que l’insecte et une légende. Et vous deviez énormément réfléchir pour savoir si vous ne feriez qu‘une simple légende – carabe coriacé ou si vous y rajouteriez un panneau expliquant de manière complexe comment ce carabe se reproduit, ce dont il se nourrit, où il vit, etc. Tout un ensemble de visiteurs viennent dans notre musée et nous pouvons les diviser en substance en deux grands groupes de personnes. Les uns veulent vivre une expérience rapide, tandis que les seconds veulent en savoir plus. Il est difficile de satisfaire tout le monde avec ces technologies classiques. Trop de texte noie généralement une exposition, trop peu rendra certains mécontents. Les éléments statiques, eux, n’amusent pas les enfants. Vous pouvez intégrer à ce carabe les technologies modernes actuelles et informations de type divers, qu’il s’agisse de textes, de vidéos, d’images, de réalité 3D donc, finalement, chacun y trouvera ce qu’il souhaite et ce dont il a besoin. Les technologies modernes élargissent beaucoup les possibilités de communication du musée et l’ouverture vers les visiteurs, que ceux-ci réclament en même temps. Mais, parallèlement, le musée ne doit pas devenir une sorte de parc virtuel, un genius loci doit y fonctionner.
 
Qu’avez-vous encore inventé pendant la période du covid ?
Il était tout à fait clair pour nous que la chute de la fréquentation serait énorme. Et nous nous sommes donc dit que nous devions préparer quelque chose de nouveau. Nous avons tout de suite placé de manière exceptionnelle plusieurs expositions dans notre programmation. En juin, ce fut comme à la chaîne. Nous avons ouvert une exposition de minéralogie puis l‘exposition spéciale Symboles de la symbolique nationale. Nous nous sommes dit qu’il serait bon dans cette période difficile de montrer les symboles nationaux et ce qui s’est déroulé de bon et de mauvais avec eux durant ces 100 ans. Puis il y a eu les Trésors des collections de numismatique, ce qui nous a permis de rendre accessibles les salles souterraines du Musée national historique, auparavant inutilisées. Et, pour finir, le 30 juin nous avons ouvert la première exposition venue de l‘étranger, de Slovaquie, consacrée au général Rostislav Štefánik, un des fondateurs de l’ex-Tchécoslovaquie. Cette exposition était très intéressante, car elle a montré ce personnage non seulement en tant qu‘homme politique et général, tragiquement décédé dans un accident d’avion, mais aussi en tant qu’une espèce de Lawrence d’Arabie tchécoslovaque. Scientifique, pilote, météorologue, amoureux des femmes et d’aventures, tout simplement en tant qu’un homme original, qui a fait vraiment beaucoup de choses dans sa courte vie de 39 ans.
Nous avons aussi déjà rendu accessible en ligne la grande exposition narrative Grands compositeurs tchèques, consacrée au quatuor étoilé Antonín Dvořák, Bedřich Smetana, Bohuslav Martinů et Leoš Janáček.

Prague National Museum
 
Mais la plus grande réalisation, ce sont les grands Rois du soleil…
Oui, nous avons travaillé de manière intense au clou de cette année. Il s’agit de la grande exposition Rois du soleil, ensemble unique d’objets de l’époque de l’ancien empire d’Égypte issus du site d‘Aboussír, où nos égyptologues travaillent depuis déjà 60 ans. C’est la toute première fois qu’un ensemble aussi grand d’objets est libéré par les Égyptiens, la valeur assurée seule étant à peu près d‘un milliard de couronnes (environ 37 millions d’euros). Cette exposition a deux objectifs– montrer le travail des égyptologues tchèques en Égypte, tout en amenant un morceau de l’Égypte historique en Tchéquie. C’est une présentation de la période extrêmement intéressante des premiers constructeurs de pyramides et des premiers pharaons, de leur vie et du fonctionnement de l’ancien empire d’alors. L‘exposition ornera notre bâtiment historique jusqu’en février 2021.
 
Pouvez-vous nous présenter cette exposition un peu plus en détail ?
Elle repose sur trois piliers. Le premier ce sont les objets et collections uniques, venus d’Égypte qui sont, en eux-mêmes, difficiles à amener jusqu’ici. Mais, dans le même temps, nous ne pouvons pas amener tout Aboussir, c’est un site énorme avec des tombes non loin de Gizeh à la périphérie du Caire. Il a une superbe atmosphère et les images murales, l’ornementation de chaque pyramide et tombe y font partie des éléments les plus intéressants et précieux. Le deuxième pilier est, par conséquent, le multimédia, où nous montrons à quoi ressemble Aboussir, pour pouvoir se représenter tout cet environnement. Nous y avons intégré une réalité en 3D, un mapping vidéo et d’autres technologies.
Nous n’avons donc pas traîné et espérons que ce que nous avons fait nous aidera à revenir rapidement à la normalité, à restaurer la fréquentation, à attirer le visiteur tchèque et, peu à peu, étranger.
 
Qui sont au juste vos visiteurs étrangers ?
Nous attirons un visiteur de qualité, qui aime la culture, vient, achète un billet et se comporte bien à Prague. Si nous nous y mettons tous, il y a alors peut-être une chance de remplacer un peu le type de personnes venant visiter Prague, mais aussi les autres villes qui, avant, ne venaient souvent chez nous que pour l’alcool bon marché, par des touristes de qualité avec un plus, qui représentent un atout social et économique. D’ailleurs, cette situation a déjà été observée. Dès que les mesures ont été relâchées avec les pays voisins cet été, on a pu voir que beaucoup de touristes de cette sorte se trouvaient parmi les touristes allemands et autrichiens.
Nous ciblons actuellement en premier lieu les pays environnants. Nous allons suivre ce qui se passe dans le monde, comment se relancent l’activité touristique, le transport aérien et allons peu à peu attirer d’autres visiteurs de qualité. Pour cela, nous essayons aussi d’utiliser cette exposition Rois du soleil, parce qu’aucune nouvelle exposition aussi attrayante n’existe nulle part ailleurs à l’automne. Elle s’intègre aussi parfaitement à la campagne Tchéquie universelle de l’agence CzechTourism. Ce n’est pas une exposition qui ne fait qu’amener un morceau d’histoire du monde, mais elle montre aussi l’art, l’érudition et les trouvailles des Tchèques en Égypte, où ils prennent part depuis de longues décennies déjà à la mise à jour et à la découverte de l’une des principales civilisations humaines.
 
Quelle est la proportion de visiteurs du Musée national représentée par la clientèle locale et la clientèle étrangère ?
Le Musée national ce n’est pas qu’un seul bâtiment, nous avons de nombreux bâtiments différents à Prague, mais si je dois généraliser, c’est bien entendu le complexe du bâtiment historique et du nouveau bâtiment de Prague qui est le plus fréquenté. Pour l’année dernière, cela a représenté quasiment un million de visiteurs, partagés en gros à 50-50. Nous pouvons ensuite diviser les visiteurs tchèques en deux groupes principaux – les familles, qui viennent surtout les week-ends et les sorties scolaires et autres institutions pédagogiques.



Vous êtes devenu directeur général à 26 ans, en 2002, avez-vous cru que vous y arriveriez ?
Je connaissais le musée, cela a été mon premier emploi ou job dès 1993, quand je n’avais pas encore de diplôme d’école supérieure et avais fini mon bac. Je me suis retrouvé tout à fait par hasard dans le département d’histoire tchèque contemporaine, où j’ai commencé à travailler en tant qu’élève. J’y suis resté jusqu’en 1997. Ce fut une bonne expérience, car j’ai découvert comment le musée fonctionnait vu de l’autre côté. J’ai vu beaucoup de choses et, pourtant, personne ne me remarquait (rires).
Puis, bien que je sois finalement parti dans les années 90, le lien était tel que mon ancien chef m’a appelé un jour en me disant que le directeur général actuel avait démissionné, que le ministère avait lancé une procédure de sélection et que je remplissais tous les critères de qualification. Cela m’a surpris, je n’avais derrière moi que deux années après mes études de master. Mais je me suis alors dit que je devais essayer, que j’allais écrire un concept et que j’allais me présenter devant la commission ministérielle. Et imaginez-vous que la  commission m’a finalement recommandé pour une nomination. Le poste de ministre de la culture était alors occupé par un homme intéressant et inspirant, Pavel Dostál, un politicien original, artiste, enthousiaste, mais qui n’aimait pas faire de la petite politique et faisait des choses surprenantes. C’est sans doute pourquoi il n’a pas eu peur de nommer un garçon de 26 ans à la tête d’une institution de cette taille.
 
Quels ont été les principaux tournants de votre travail ?
Dès le début ça m’a plu. Certains tournants sont arrivés tout seuls et j’ai dû me battre pour que d’autres surviennent. J’avais une stratégie et me doutais de ce sur quoi je devais me concentrer dans le musée. Le premier de ces tournants a été les crues catastrophiques de 2002. Avant qu’elles ne commencent, j’avais déjà lancé l’exécution de l’ordre de préparation à des plans d’évacuation pour un tel cas. Nous l’avons achevé en moins de six mois et des inondations ont vraiment eu lieu juste après. Et comme le personnel s’était occupé de ce plan, il y était entraîné, savait là où il devait agir et ce qu’il devait faire. Cela nous a pas mal aidés à sauver les collections. C’est aussi grâce à cela que je me suis rapproché de beaucoup de gens dans le musée. Durant les inondations, j’étais sur le terrain avec mes collègues et ils ont vu que je n’étais pas un freluquet pistonné, mais que le musée était vraiment important pour moi.
Le deuxième tournant est survenu avec la nouvelle politique d’exposition. Nous avons en effet fait reposer de manière nouvelle la stratégie sur de grandes expositions profilées – Chasseurs de mammouths, L’eau et la vie… Jusqu’alors, on allait au musée presque une seule fois dans sa vie et nous avons essayé de changer ce fait avec un nouveau contenu. Pour que le musée vive, qu’il soit une bonne institution pédagogique et éducative.
Un autre tournant a concerné nos collections. Nous avons 20 millions de pièces exposées, elles étaient éparpillées dans divers endroits dans de mauvais locaux, elles étaient mal élaborées et mal enregistrées. Nous avons donc commencé à les remettre en ordre. J’ai aussi hérité de nombreux édifices du Musée national dans un état si mauvais qu’il fallait faire rapidement quelque chose pour y remédier. J’ai d‘abord commencé un lobbying pour trouver des fonds et quand j’en ai trouvé, nous nous sommes lancés dans les restaurations.
 
La grande reconstruction du bâtiment historique a donc aussi eu lieu à son tour…
C’était un grand rêve dans le cadre de l’ensemble du processus. Le bâtiment historique n’avait pas été restauré depuis son édification en 1891 et était dans un état désolant. Il s’agissait d’un gros investissement, j’ai dû convaincre les hommes politiques, trouver de l’argent, puis nous avons dû déménager presque 10 millions d’objets des collections, 20 km de livres et les déposer convenablement dans un endroit. En parallèle, nous avons donc édifié et reconstruit de grands complexes pour les dépôts, puis nous avons dû parfaitement planifier ces déplacements.
De plus, nous avons réussi à convaincre le gouvernement de l’époque de nous donner le bâtiment voisin moderne de l’ex-assemblée fédérale, plus tard radio Svobodná Evropa (Radio Free Europe). Dans le même temps, nous avons relié les deux bâtiments en sous-sol et avons donc agrandi le musée sur la place Venceslas dans le centre de Prague en un complexe de deux bâtiments, ce qui fait de nous un très grand musée.
Un autre tournant est l’arrivée du covid, telle que nous en avons déjà parlé, parce que nous devons tout d’un coup réfléchir tout à fait autrement au fonctionnement du musée.
 
Que préparez-vous encore ?
Nous reconstruisons toutes les expositions à partir de la préhistoire, on fait une exposition complète de sciences naturelles et d‘histoire, nous avons commencé à construire une exposition sur le XXe siècle et naîtra aussi un musée spécial pour les enfants, les écoliers. De 4 à 7 ans, c’est un superbe âge, les enfants absorbent les diverses informations comme des éponges, mais vous devez communiquer avec eux avec leur langue, par les émotions, les couleurs, le moment vécu, le jeu... Nous collaborons donc avec des pédagogues et des artistes.
Et nous avons sur la table un très intéressant projet, Les Gens. Ce sera une exposition archéologique et anthropologique dont le design a été créé par le jeune architecte tchèque Petr Janda, qui s’est rendu célèbre par exemple avec la revitalisation des quais de Prague.
Je suis optimiste, si tout s’enclenche bien, je crois que nous allons ouvrir bientôt à un rythme régulier une nouvelle exposition ou un ensemble d’expositions. Nous disposons d’une vaste collaboration avec l’étranger, grâce aux Rois du soleil nous avons la technologie nous permettant de faire venir d’autres expositions, nous créons donc un programme d’expositions sur le long terme.
 
Hormis les Rois du soleil, prévoyez-vous encore quelque chose de spécial ?
A l’automne prochain, nous aimerions faire venir une exposition qui s’appellera Pays des mammouths et qui se fait clés en main pour nous. Nous voulons amener de Sibérie environ 10 à 12 parties de mammouths congelés et d’autres animaux de cette époque. C’est très compliqué, nous sommes en train de résoudre la réalisation technologique du transport.
 
Sous quelle forme finale les gens la verront-ils ?
Ils doivent être dans des congélateurs vitrés, dans lesquels on pourra voir. Nous avons vu cette technologie l’année dernière dans une petite exposition au Japon.
 
D’où les amenez-vous et comment collaborez-vous avec les spécialistes locaux ?
De la république de Sakha en Sibérie, les gens y sont très communicatifs et coopératifs, ils aimeraient l’utiliser en tant que présentation de la Sibérie extrême-orientale. Hormis les sites de mammouths, ils y ont aussi des gisements de diamants et une énorme quantité d’autres choses. Nos paléontologues aimeraient prendre part aux recherches directement sur place.
Ensuite nous préparons avec la Bavière une grande exposition sur le baroque, que nous voulons présenter non seulement en tant qu’art, mais aussi en tant que phénomène d’une certaine époque dans la région. Phénomène d’idées, littéraire, social...


 
Et quid de votre activité sous forme d’expéditions ?
Nous la reprenons. Nous avons au Soudan des spécialistes du royaume de Méroé, une autre grande civilisation du Nil. Pendant le conflit en Syrie, nous avons essayé d’envoyer une aide matérielle aux inspecteurs des monuments historiques syriens pour le sauvetage des monuments, nous avons obtenu une licence pour les recherches archéologiques dans la localité de Tell Al Shameh-Naher-el-arab, où se trouvent des monuments remontant jusqu’à l’an 2500 avant notre ère. J’espère que la situation avec le covid nous permettra bientôt de commencer les recherches. Et nous devrions aussi travailler en Algérie sur des recherches archéologiques également de la période de l’antiquité.
www.nm.cz/en
 
Qui est Michal Lukeš
Il a étudié l’histoire et la slovaquistique à la Faculté des Lettres de l’Université Charles. L’histoire moderne tchèque et slovaque, à laquelle il s’est consacré également durant ses études post-graduelles, est devenue le centre de son intérêt. Il a suivi des stages en Allemagne, Autriche, Italie et aux USA. Il est entré au Musée national en 1993 et a travaillé jusqu’en 1997 en tant que documentariste du Département d’histoire tchèque contemporaine. Dans les années 1998-2001, il a été adjoint du directeur du théâtre Bez zábradlí. En 2002, à l’âge de 26 ans, le ministre de la culture Pavel Dostál l’a nommé directeur du musée. C’est sous sa direction que le Musée national a restauré la plupart de ses bâtiments délabrés et a édifié un complexe moderne de dépôts et de laboratoires. Il a imposé la reconstruction du bâtiment du Musée national sur la place Venceslas et en a procuré les fonds.